3. Le point de vue des opposants fondamentaux: «Ça ne pourra jamais marcher !»
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BERG ET KENT ( 1991 ) affirment:
I. Certaines hypothèses majeures avancées pour justifier l'exploitation de banques de céréales ne sont que des mythes.
II. Rien ne permet de penser que dans le cadre d'une économie de marché' des collectivités villageoises soient mieux à même de taire face aux problèmes de distribution que le secteur commercial privé.
III. Le stockage spéculatif est une entreprise à très haut risque, qui n'est de surcroît pas spécialement profitable en raison des coûts de substitution élevés liés au capital investi. Les banques de céréales ne peuvent donc survivre sans un apport massif de subventions, ce qui entraîne des distorsions indésirables au niveau de la concurrence.
Voici les arguments fournis à l'appui de ces thèses:
conc. I. Le mythe le plus coriace est celui qui a trait à des bénéfices spéculatifs excessifs - dus aux prix prohibitifs prétendument exigés par les commerçants privés - auxquels les banques de céréales sont censées mettre un terme. Il faut objecter ici que le fait que certains commerçants profitent de leur position monopoliste ou du manque de transparence du marché n'est jamais un phénomène durable dans la mesure où le commerce des céréales est fondamentalement accessible à tous. La concurrence intense régnant dans le commerce sahélien des céréales exclut toute marge bénéficiaire extrême. De manière générale, la différence entre les prix à la production et les prix à la consommation reflète presque exactement les frais de transport.
Les commerçants privés qui prêtent des céréales pendant la soudure exigent au moment du remboursement, c'est-à-dire après la récolte, au moins 100 % d'intérêts, ce qui n'est pas là non plus à mettre au compte de la cupidité, mais s'explique par les frais importants occasionnés par de nombreuses créances irrécupérables.
Ceci appelle une double interrogation:
- Pourquoi le paysan se procure-t-il du liquide en vendant des
céréales (et non du bétail, parexemple) ?
- Pourquoi couvre-t-il ses besoins pendant la soudure, alors que
les prix sont au plus haut, et non pas après la récolte ?
Il existe ici une explication plausible, à savoir que dans certaines circonstances il est économiquement plus avantageux de commencer par engraisser le bétail de manière à en tirer ultérieurement un meilleur prix. Le produit de la vente du bétail est alors susceptible de surcompenser la majoration à l'achat du prix des céréales.
conc. II. L'activité fondamentale d'une banque de céréales, dont la fonction est d'assurer un équilibre dans le temps et dans l'espace, ne peut être assumée par des associations villageoises en raison des risques financiers accrus qu'elle implique et du savoir-faire étendu qu'elle exige en matière de gestion d'entreprise.
Si les banques de céréales manquent de flexibilité, c'est notamment parce qu'elles ne disposent pas de la possibilité d'investir leur capital ailleurs que dans le stockage. A la suite de très bonnes récoltes, il serait en effet plus opportun d'investir le capital dans d'autres activités, vu que les banques de céréales sont alors confrontées à une hausse limitée des prix au moment de la soudure en même temps qu'à une demande insuffisante.
La lourdeur des organes décisionnels, tels que le comité de gestion ou l'assemblée du village, rend impossible toute prise de décision rapide. Les pressions de nature sociale et politique peuvent peser d'un poids considérable sur les décisions du comité de gestion. Les activités, qui sont soit financées par des donateurs, soit subventionnées, incitent peu à l'économie. Les gérants des banques de céréales possèdent rarement l'expérience nécessaire, du point de vue commercial, ni au niveau de la connaissance du marché ou des contacts avec les fournisseurs. Du fait qu'ils ne sont pas rémunérés, leur engagement est plutôt limité.
conc. III. Etant donné que les bénéfices réalisables dans le commerce des céréales par le stockage spéculatif sont plutôt minces, les banques de céréales peuvent uniquement s'assurer des avantages par rapport à la concurrence en réduisant les coûts d'exploitation, ce qui, vu les subventions massives qu'elles reçoivent. se produit effectivement.
Toutefois, les banques de céréales reperdent dans la plupart des cas cet avantage sur la concurrence du fait de l'inefficacité de leur gestion.
S'appuyant sur de nombreux exemples empruntés à divers pays, BERG ET KENT ont démontré d'une part que la rentabilité du capital investi était soumise à de fortes fluctuations, et qu'elle était en outre presque toujours négative dès l'instant où l'on partait de coûts de substitution atteignant 40 %. Ainsi, selon les auteurs, non seulement l'exploitation de banques de céréales comporte des risques, mais elle n'est de surcroît pas rentable (cf. tableau ci-dessous).
Tabl. 3: Exemple de calculs de la rentabilité de banques de céréales dans la province de Sanmatenga /Burkina Faso (d'après BERG, E. ET KENT, L. 1991)
Années | Prix récolte | Prix soudure |
Hausse des prix (%) |
Rentabilité brute |
Coûts
de stockage |
Rentabilité nette annuelle sur capital investi pour Diverses hypothèses de coûts de substitution | ||
0% | 15% | 40% | ||||||
1979/80 | 72,0 | 82,0 | +13,9 | 10,0 | 7,6 | 7% | -8% | -33 % |
1980/81 | 75,0 | 100,0 | +33,3 | 25,0 | 8,5 | 44 % | 29 % | 4 % |
1981/82 | 66,0 | 77,0 | +16,7 | 11,0 | 7,4 | 11 % | -4 % | -29 % |
1982/83 | 78,0 | 111,0 | +42,3 | 33,0 | 9,1 | 61 % | 46 % | 21 % |
1983/84 | 108,0 | 148,0 | +37,0 | 40,0 | 10,9 | 54 % | 39 % | 14 % |
1984/85 | 105,0 | 119,0 | +13,3 | 14,0 | 9,5 | 9 % | -6 % | -31 % |
1985/86 | 63,0 | 65,0 | +3,2 | 2,0 | 6,8 | -15 % | -30 % | -55 % |
1986/87 | 44,0 | 60,0 | +36,4 | 16,0 | 6,5 | 43 % | 28 % | 3 % |
1987/88 | 60,0 | 80,0 | +33,3 | 20,0 | 7,5 | 42% | 27 % | 2 % |
Moyenne | 74,6 | 93,6 | +25,5 | 19,0 | 8,2 | 28 % | 13 % | -12 % |
Ces calculs sont fondés sur les hypothèses suivantes:
- Les céréales sont achetées à leur prix
moyen en période de récolte (le prix moyen en période de
récolte correspond à janvier).
- Les céréales sont stockées durant sept mois.
- Les céréales sont revendues à leur prix moyen en période de
soudure (le prix moyen en période de soudure correspond à
juillet)
- Le prix du stockage physique se monte à 50 FCFA/sac/mois, avec
une perte physique de 5 % pour la totalité de la période de
stockage.
- Les exemples font appel à trois taux différents de coûts de
substitution sur le capital: 0 %, 15 % et 40 % (nous considérons
le taux de 40 % comme l'estimation la plus réaliste en ce qui
concerne les coûts de substitution sur le capital incombant à
un commerçant indépendant).
Considéré sur une moyenne décennale, on arrive par conséquent pour la province de Sanmatenga à une hausse de prix de 25 % entre la récolte et la soudure, pour une rentabilité sur le capital de 28 % / 13 % / -12 % et des coûts de substitution sur le capital estimés à 0 % / 15 % /40 %.
Les objections émises par Berg et Kent à l'encontre des banques de céréales sont sans aucun doute de poids. Vaudrait-il mieux, de là, ne pas toucher par principe à un type d'entreprise où l'on ne peut apparemment que se brûler les doigts ? Avant d'apporter une réponse à cette question, il paraît opportun d'examiner les conséquences du manque de soin au niveau de la mise en place, de même que les problèmes qui surgissent dans le cadre de la gestion quotidienne.