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5 Stratégies de développement de projets de post-récolte axés sur le genre
5.1 Évaluation des avantages et caractéristiques exigées dans le cas des projets actuels et des innovations prévues
Avantages et inconvénients de certaines méthodes de travail
Il arrive souvent que des procédés techniques soient appliqués sans que l'on ait vérifié auparavant ce qu'en pensent les groupes cibles. Les avantages et les inconvénients, du point de vue des personnes concernées, ainsi que les risques éventuels estimés par ces personnes, sont rarement pris en compte.
Prenons l'exemple de l'introduction du moulin à manège: une participation insuffisante des groupes cibles dans la phase de planification a largement contribué à l'échec de ce projet.
Le pour et le contre des moulins à manège
La mise en place de manèges pour puiser de l'eau et transformer les produits de la récolte repose sur des analyses qui font état d'un besoin considérable en technologies adaptées et efficientes, surtout dans les régions rurales. L'introduction de technologies appropriées est censée élever la rentabilité tout en permettant de gagner du temps. L'introduction de moulins à moteur répond généralement à ces attentes. Pourtant, l'on sait que les moulins à moteur ne peuvent être rentabilisés que si leur capacité est pleinement utilisée. Comme ce n'est pas le cas au fin fond des campagnes, il est donc déconseillé de les installer en tout point du territoire.
Les responsables du projet considéraient le moulin à manège comme une solution de rechange au moulin à moteur. Le principe est ici de diminuer la charge de travail des femmes en économisant le temps de déplacement.
Des évaluations ultérieures ont fait ressortir, lors de conversations avec de nombreuses villageoises du Sénégal, du Mali et du Burkina Faso, qu'un voyage au moulin (max. 5 km) suffisait à satisfaire les besoins en farine de la famille pour toute une semaine. De plus, c'était l'occasion de faire des achats, de vendre des marchandises et de rendre visite à des parents. Ces discussions ont montré clairement que le déplacement jusqu'au moulin à moteur n'était pas considéré comme une perte de temps. Étant donné que le manège, trop peu rentable, ne convient que sous réserve pour moudre, les femmes n'ont pu trouver aucun avantage particulier à l'introduction des moulins à manège et ont donc réagi avec beaucoup de réserve à cette 'innovation' (GTZ 1994).
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Une analyse effectuée au cours de la phase de planification aurait permis de définir à temps les problèmes et les priorités, en pesant les avantages et les inconvénients du point de vue des femmes concernées. Cette analyse joue un rôle décisif dans l'éventuelle acceptation / non acceptation de l'introduction de nouvelles pratiques.
Mécanisation de la production du gari
Beaucoup de tentatives de mécanisation de la production du gari (produit dérivé obtenu par fermentation du manioc) en Afrique de l'Ouest ont échoué parce que, bien que cette technique ait rendu le travail moins long et moins pénible, la qualité du produit était inférieure. Comme les vendeuses de gari ont généralement une clientèle fixe qui demande une qualité constante, les efforts de mécanisation de la production du gari sont souvent restés infructueux.
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Acceptation probable d'éventuels changements
Pour évaluer les avantages des méthodes de travail existantes et proposées, on s'attachera à éclaircir les questions suivantes pour chaque genre:
- Quels sont les effets positifs (avantages) / négatifs (inconvénients, risques) perçus ou imaginés par les intéressé(e)s?
- coûts;
- exploitation des ressources naturelles;
- santé (efforts accrus, risque de blessures...);
- temps de travail;
- qualité du produit;
- revenu;
- appréciation sociale (prestige, possibilités de communication);
- savoir-faire;
- Quelle est la confiance placée dans les innovateurs/trices?
- activités réalisées jusqu'ici;
- rapports avec le groupe cible;
- expérience du groupe cible avec des projets similaires.
- Les méthodes existantes se trouvent-elles dans une phase de restructuration?
- changements au niveau de la demande, par exemple à cause d'un changement des habitudes alimentaires;
- changements au niveau du revenu, par exemple à cause d'une plus forte fluctuation des prix.
- Quelle est l'urgence des problèmes / la disposition aux changements?
- problèmes vus par le groupe cible;
- priorités;
- demande en services de vulgarisation;
- expérimentation de méthodologies alternatives;
- investissement en temps et / ou en argent dans des méthodes alternatives.
- Quelles alternatives peut-on envisager?
- dans la définition des objectifs du projet;
- en dehors de ce domaine.
- A quelles expériences peut-on recourir dans d'autres pays / régions?
- conditions favorables / défavorables dans d'autres pays / régions;
- identification des donateurs impliqués.
La machine à cossettes
Une analyse de situation réalisée à Tamale (Nord Ghana) montre que les femmes manifestent un intérêt particulier pour le manioc. Cela est essentiellement dû au fait qu'elles sont impliquées dans toutes les étapes de la filière manioc, notamment la culture, le stockage, la transformation et la commercialisation (ce qui n'est pas le cas pour l'igname).
Dans le cadre d'un projet mis en place dans cette région, une machine est testée depuis un an pour la fabrication de cossettes de manioc. Il est cependant nécessaire d'éclaircir toute une série de questions avant de diffuser cette machine:
Les femmes jouent un rôle important dans la commercialisation du manioc transformé. Une part importante de leur revenu provient de la vente, ou revente, du manioc transformé (cossettes, gari, fufu); elles n'ont pratiquement pas d'autre source de revenu.
Or, en tant que productrices de manioc, les femmes sont confrontées à diverses contraintes qui sont directement liées au fait qu'elles n'ont pas accès à la terre et qu'elles doivent travailler en priorité dans les champs de leur mari. Le transport des tubercules sur la tête pose également des problèmes, de même que le processus de transformation lui-même (épluchage des tubercules, rouissage, séchage) qui est non seulement pénible et fastidieux, mais occasionne aussi parfois des blessures. Les femmes n'enregistrent des pertes en cours de stockage que lorsque les cossettes sont mal séchées. En l'absence d'une organisation des fournisseurs et des commerçants, la commercialisation est une activité prenante.
Avec la nouvelle machine, les cossettes produites sont nettement plus petites par rapport à la méthode traditionnelle. Celles-ci sèchent plus vite, prennent moins de place dans le magasin et pendant le transport, et sont plus faciles à moudre car il n'y a pas besoin de concassage avant la mouture. En outre, la qualité de la farine a pu être nettement améliorée. Les inconvénients et les risques que les femmes y voient résident dans le fait que la machine financée par emprunt risque de ne pas être rentable et que le nouveau produit doit d'abord être lancé sur le marché. Si la capacité de transformation s'accroît, le transport et le séchage risquent de ne pas suivre au même rythme.
Le projet s'attache actuellement à évaluer les avantages de la machine, en tenant compte de ce que les femmes considèrent comme prioritaire, et réfléchit à la manière de remédier aux inconvénients. A ce propos, l'accent est placé moins sur l'amélioration technique de la machine que sur des aspects économiques comme l'acceptation du nouveau produit (cossettes de manioc plus petites) par les client(e)s, le lancement sur le marché, le financement et la rentabilité de la machine à cossettes. Finalement, on retrouve la question suivante: acquisition collective et exploitation communautaire ou utilisation individuelle?
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Exigences en ressources matérielles et humaines dans l'introduction de nouvelles techniques
Lors de l'introduction de nouvelles techniques, il faut généralement se demander quelles sont les ressources matérielles indispensables et ce qui est requis des utilisateurs/-trices éventuel(le)s des innovations. A ce propos, il faut particulièrement tenir compte du fait que les femmes n'ont parfois aucun accès aux ressources nécessaires (voir encadré, section 4.2) ou ne disposent pas des connaissances et expériences voulues. On recherchera donc les lacunes éventuelles et les moyens de les combler. Les questions suivantes sont à éclaircir:
- Quelles sont les exigences en matière de ressources?
- capital; sol, eau; machines, outils; main-d'oeuvre.
- Quelles sont les exigences relatives à la mise en oeuvre et au suivi?
- effort d'organisation;
- temps de travail et personnel nécessaires;
- coûts.
- Qu'est-ce qui est exigé des utilisateurs/-trices?
- savoir-faire;
- mobilité;
- contribution financière;
- temps;
- intégrité personnelle.
- Quelles sont les exigences relatives à la technologie?
- adaptation;
- prix d'achat;
- coûts d'exploitation;
- convivialité;
- 'légèreté', dimensions réduites;
- facilité d'entretien et de réparation;
- qualité du produit;
- durabilité;
- possibilités de production au niveau local;
- possibilités de commercialisation.
Critères de sélection de technologies adaptées s'adressant spécifiquement aux femmes
- Les appareils portatifs ou facilement démontables présentent des avantages (utilisables partout, conciliables avec la garde des enfants ou d'autres obligations domestiques);
- Les appareils polyvalents (appareil de base + accessoires interchangeables - pour la transformation de différentes denrées) sont privilégiés;
- Économie de temps et d'énergie;
- Utilisation réduite des ressources (carburant, électricité, eau, bois);
- Bonnes propriétés physiques du produit;
- Bonnes propriétés gustatives du produit.
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5.2 Approches de solution
- Pour réduire la charge physique et psychique des femmes et les contraintes de temps qui pèsent sur elles, il est nécessaire de mettre en place des procédés qui allègent le travail. Des puits, des moulins, des foyers améliorés (consommant moins de combustibles) peuvent ainsi apporter une aide sensible.
- Des systèmes de transport qui tiennent compte des besoins des femmes améliorent leurs chances de commercialisation et peuvent ainsi les aider à constituer un capital. Du coup, elles peuvent acheter les produits bruts en plus grandes quantités en vue d'un stockage spéculatif ou d'une transformation. Par cet enchaînement de facteurs - dont certains éléments centraux appartiennent au secteur post-récolte -, la situation économique des femmes peut s'améliorer, ce qui contribuerait, en outre, à une amélioration de leur statut social.
- Il est vrai que l'introduction de nouvelles méthodes de travail n'a souvent pas l'effet escompté, car celles-ci entrent en conflit avec la compréhension sociale des rôles et devoirs respectifs des femmes et des hommes (chapitre 2). Afin de tenir compte des intérêts à la fois pratiques et stratégiques des femmes dans la formulation des projets, il importe de travailler avec les groupes et réseaux locaux de femmes de manière à intégrer les diverses particularités socioculturelles régionales. Il s'est également révélé utile de coopérer davantage avec le personnel féminin des ONG (animatrices), car celles-ci sont connues sur le terrain et ont parfois de l'influence sur les autorités traditionnelles. Il faudrait donc que les collaborateurs/-trices des ONG locales accompagnent le processus d'introduction des nouvelles technologies, appuient les campagnes de sensibilisation et servent de médiateurs/-trices en cas de conflit.
- Les coopératives d'épargne et de crédit rurales peuvent jouer un rôle clé dans le secteur post-récolte pour soutenir les femmes dans les domaines de la transformation et du commerce. Elles permettent aux femmes d'avoir accès à des crédits pour des activités commerciales qu'elles ne pourraient pas exercer sans ce capital extérieur. Cela est valable aussi bien pour les activités commerciales communautaires que pour les opérations individuelles de transformation et de commerce.
- Les institutions donatrices choisissent souvent des groupements féminins comme groupes cibles de leur politique de développement. Un appui à ce niveau aura d'autant plus de chances de réussir
- que l'objectif de l'appui correspond bien à l'objectif initial du groupement,
- que les moyens financiers sont fournis judicieusement et
- que les risques de conflits dus à des tensions sociales au sein des groupes ou du village sont faibles.
En évaluant et en choisissant les groupes de femmes, il faut donc se pencher sur des aspects comme l'histoire du groupe (conditions d'admission, structure des adhérents, objet de l'association), les activités menées par le groupe, leur succès, la disponibilité de ressources financières et leur utilisation par le groupe, la solidarité au sein du groupe / dans le village (structure socio-économique et socioculturelle, rapports entre les différents groupes du village).
- Pour associer les femmes et les hommes à la planification et à la formulation du projet, les approches participatives se sont révélées particulièrement utiles. En enregistrant séparément les points de vue des deux sexes sur la situation et les problèmes, on met à jour les différences d'intérêts entre hommes et femmes dans le secteur post-récolte. Les discriminations auxquelles les femmes sont sujettes apparaissent alors clairement et on peut ensuite y remédier de façon ciblée dans le cadre du projet; ainsi, dans l'idéal, les hommes et les femmes bénéficient pareillement des activités du projet. Bien choisir le maître d'œuvre du projet joue ici un rôle non négligeable. Celui-ci doit offrir aux différents acteurs la possibilité d'exprimer leurs intérêts et de dégager un consensus et, le cas échéant, de chercher des possibilités de résolution des conflits.
- Les problèmes cités par les femmes dans le secteur post-récolte (manque de fonds, méthodes de transformation longues et fastidieuses, moyens de transport insuffisants, manque de débouchés) sont complexes et, pour certains, interdépendants. A cet égard, les méthodes qui se sont révélées efficaces pour résoudre les problèmes sont celles qui ne s'attaquent pas isolément à chacune des composantes (par exemple, la réduction des pertes de légumineuses en cours de stockage), mais qui les traitent dans leur entière complexité.
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