LUTTE BIOLOGIQUE CONTRE LE GRAND CAPUCIN DU MAÏS PROSTEPHANUS TRUNCATUS (HORN) (COL.: BOSTRICHIDAE) AU BENIN ET AU TOGO
C. Borgemeister
1,2, H. Schneider1,2,3, C. Adda1, H. Affognon1,3, D. Agounke4, A. Biliwa4, A. Tchabi1,5, M. Camara1,6, R.H. Markham1 & D. Scholz1,21 | Institute International d'Agriculture Tropicale (IITA), Bénin |
2 | Institut des Maladies des Plants et de la Protection des Végétaux, lUniversité de Hanovre, Allemagne |
3 | Deutsche Gesellschaft für Technische
Zusammenarbeit (GTZ) GmbH, Coopération Allemande au Développement, Eschborn, Allemagne |
4 | Service Protection des Végétaux (SPV), Lomé, Togo |
5 | Université du Bénin, Lomé, Togo |
6 | Institut de la Pathologie des Plants, lUniversité de Göttingen, Allemagne |
Matériels et Méthodes
Enquêtes réalisées dans le sud-ouest du Bénin
Des données sur l'activité en vol de T. nigrescens et P. truncatus ont été enregistrées en utilisant des pièges collants pour capturer les insectes en vol (Pherocon II, Trécé, Salinas, CA), appâtés avec une phéromone de synthèse de P. truncatus à deux composantes (1 mg de Truncall 1 et 1 mg de Truncall 2; AgriSense-BCS, Pontypridd, Royaume-Uni) qui attire à la fois le prédateur et la proie (Böye et al., 1992). Après la première détection de T. nigrescens dans un piège à phéromone au Bénin en août 1992, dans un site du sud-ouest (province du Mono) proche de la frontière togolaise, six enquêtes furent réalisées entre octobre 1992 et février 1996 dans le but de suivre la progression du prédateur au Bénin. En tout 83 sites furent échantillonnés dans la province du Mono dans le cadre de l'étude (Fig. 1). Du fait que le ravageur et l'ennemi naturel venaient du Togo, les sites furent sélectionnés à partir de la frontière Togo-Bénin, le long d'un gradient ouest/est d'à peu près 80 km, avec un nombre plus élevé de sites dans la zone frontalière. Les sites étaient regroupés dans 9 bandes d'environ 9 km de large, ci-après appelées transects.
Piégeage continu à l'aide de phéromones
Outre les enquêtes, des données furent continuellement enregistrées sur l'activité de vol de P. truncatus et T. nigrescens dans 8 localités de la province du Mono (Fig. 1). Les types de piège et de leurre à phéromone utilisés étaient les mêmes que ceux utilisés dans les enquêtes. Les pièges et les leurres étaient changés toutes les semaines. Ce sont les données relevées sur le vol entre avril 1992 et octobre 1997 qui sont présentées ici.
Essais de stockage
Les données présentées ici sont celles des témoins non traités de 4 essais de stockage mis en place dans la même exploitation (près de Dogbo, dans la province du Mono) sur plusieurs années successives. C'est le même cultivar de maïs, 'TZSR-W' (Zea mays tropical résistant à la striure - Blanc), une variété farineuse de 120 jours, améliorée et adaptée par l'Institut International d'Agriculture Tropicale (IITA), qui a été utilisé dans tous les essais et semé en champ pendant la campagne principale (c'est-à-dire entre avril et août). Les essais ont été mis en place entre septembre et avril de 1992/1993, 1993/1994, 1994/1995 et 1995/1996. Le mode de stockage et la quantité de maïs stockée dans les greniers variaient selon les essais, mais dans tous les essais, les épis ont été stockés avec leurs spathes intactes dans des greniers semblables aux greniers traditionnels locaux. Dans l'essai de 1992/1993, 80 épis ont été prélevés par répétition (à raison de 3 répétitions par traitement) à chaque échantillonnage, et dans les essais de 1993/1994, 1994/1995 et 1995/1996, 150 épis ont été échantillonnés par répétition (à raison de 3 et 4 répétitions par traitement, respectivement). La teneur en eau du maïs a été déterminée au moyen des techniques normales de séchage en étuve (ISO 1980). Les épis échantillonnés ont été déspathés, décortiqués, égrenés et tamisés pour récupérer tous les insectes adultes. Les données sont exprimées en nombres moyens de P. truncatus et T. nigrescens par kilogramme de matière sèche. Les pertes en grain ont été mesurées en utilisant la méthode de comptage et de pesage (Harris & Lindblad, 1978), avec 15 répétitions par grenier échantillonné.
Opérations extensives de piégeage et d'échantillonnage
Les opérations de piégeage à grande échelle de P. truncatus et T. nigrescens et d'échantillonnage parallèle des greniers à maïs des paysans ont été menées pendant 28 mois - de mai 1995 à août 1997 - dans le sud du Togo et dans tout le Bénin. En tout 124 sites de piégeage et d'échantillonnage ont été choisis à travers différentes zones agro-écologiques, depuis la région côtière humide du Togo et du Bénin jusqu'à la savane guinéenne dans le nord du Bénin (Fig. 2). Dans le sud, les pièges ont été remplacés toutes les deux semaines. En raison de la plus faible incidence de P. truncatus dans le nord du Bénin, les pièges y ont été changés tous les mois.
Fig. 1 | T. nigrescens sites de prospection et lieux des pièges à phéromone dans le Département du Mono et sites de lâchers de T. nigrescens dans le sud du Togo. |
Pendant la période de stockage, des échantillons (10 épis) ont été prélevés toutes les quatre semaines dans les greniers ruraux de tous les sites de piégeage. Le niveau des dégâts sur les épis échantillonnés a été évalué en utilisant des outils de classification visuelle, et tous les insectes présents sur chaque épi ont été identifiés et comptés.
Résultats
Enquêtes
Le nombre de T. nigrescens capturés dans les pièges s'est considérablement accru au cours des 2,5 années d'observation (Figs. 3 et 4). Une comparaison des trois enquêtes d'octobre révèle que le prédateur s'est propagé entre 1992 et 1994 dans toute la région soumise à l'étude (Fig. 3). Les effectifs en hausse de T. nigrescens s'accompagnaient d'effectifs en baisse de P. truncatus. Les captures des deux enquêtes de mai ont révélé le même scénario, avec un accroissement sensible des effectifs de T. nigrescens en 1995 par rapport à 1993 et, dans le même temps, un déclin des effectifs de P. truncatus (Fig. 4). Là aussi, T. nigrescens était présent dans tous les gradients au cours de la deuxième enquête, ce qui révèle la propagation du prédateur dans toute la province.
Suivi continu
Lorsque l'activité de vol de P. truncatus et T. nigrescens a été suivie entre avril 1992 et octobre 1997 dans la province du Mono (Fig. 5), le vol de P. truncatus était fortement saisonnier, avec 2 pics au niveau des captures, surtout au cours des premières années de l'étude. Le premier pic est survenu entre fin décembre et fin février pendant la grande saison sèche dans le sud du Bénin, et le second est survenu entre avril et juin pendant les premières semaines de la saison des pluies. La plus faible activité de vol de P. truncatus a toujours été enregistrée en octobre. Les pics de décembre à février des campagnes 1994-1995 et surtout 1995-1996 et 1996-1997 ont été remarquablement plus bas que dans les années précédentes. De plus, le pic d'avril à juin 1996 ainsi que l'activité de vol en avril et mai 1997 ont été nettement faibles par rapport aux années précédentes.
Teretriosoma nigrescens a été observé pour la première fois dans ces sites de piégeage en août 1992. Par la suite, les effectifs de T. nigrescens dans les pièges se sont considérablement accrus en 1994 et en 1995. Avec la baisse d'activité de vol de P. truncatus en 1996 et 1997, de plus faibles nombres de T. nigrescens ont été trouvés dans les pièges à phéromone. Un seul pic a été observé dans le cycle de vol saisonnier de T. nigrescens, 4 à 6 semaines après le pic d'avril à juin de P. truncatus (Fig. 5).
Fig. 2 | Lieux des pièges à phéromone de P. truncatus et T. nigrescens au Bénin et au Togo. |
Essais en champ
Les densités de P. truncatus et les pertes accumulées de grain au cours de 3 essais de stockage successifs dans la province du Mono ont montré que, dans l'essai de 1992-1993, l'infestation initiale de P. truncatus a été décelée en novembre (soit 6 semaines après le remplissage des greniers à maïs) (Figs. 6A et 7A). A partir de février (soit au bout de 5 mois de stockage), les effectifs de P. truncatus ont commencé à croître de manière presque exponentielle, atteignant des densités de plus de 2000 P. truncatus par kilogramme de maïs en avril et mai (soit au bout de 8 à 9 mois de stockage) (Fig. 6A). Les fortes densités de P. truncatus se sont accompagnées de pertes en grain extrêmement élevées (Fig. 7A). Aucun T. nigrescens n'a été observé dans tout cet essai en champ.
Dans l'essai de 1993-1994, l'accroissement démographique de P. truncatus a commencé plus tôt, mais a atteint un niveau maximal plus bas, avec 800 P. truncatus environ par kilo de maïs à la fin du mois de janvier (soit 6 mois après le remplissage des greniers) (Fig. 6B).
Par la suite, les effectifs de P. truncatus ont nettement baissé pour atteindre à peu près 400 coléoptères par kilo de maïs. T. nigrescens a été observé pour la première fois au cours de l'essai de stockage de 1993-1994, avec de fortes densités à partir de janvier. Le déclin démographique de P. truncatus est survenu pendant la période où les effectifs de T. nigrescens étaient en hausse (Fig. 6B). Par rapport à l'essai de 1992-1993, les pertes de grain cumulées ont augmenté plus vite, atteignant à peu près 40% en février au bout de 5 à 6 mois de stockage (Fig. 7B). Néanmoins, aucune augmentation importante des pertes n'a été observée par la suite. Les densités de P. truncatus ont été extrêmement faibles dans les essais de 1994-1995 et 1995-1996 (Fig. 7C et D).
Les effectifs maximum étaient de plus de 10 fois inférieurs à ceux de l'année précédente, et de près de 30 fois inférieurs à ceux de l'essai de 1992-1993. Dans l'essai de 1994-1995, la densité de T. nigrescens au cours des 3 derniers mois de l'essai de stockage (entre mars et avril) a été jugée presque aussi élevée que celle de P. truncatus. Des effectifs plus élevés de P. truncatus ont été enregistrés au cours de l'essai de stockage de 1995-1996. Dans les deux essais, toutefois, les pertes en grain maximales de 12% ont été enregistrées en mai, au bout de 9 mois de stockage (Fig. 7C et D).
Piégeage et échantillonnage à grande échelle
Le suivi de P. truncatus et de T. nigrescens sur une période de deux années a révélé que les deux espèces migrent d'ouest en est et du sud vers le nord, T. nigrescens se déplaçant beaucoup plus rapidement que sa proie (Fig. 8-11). Les régions occidentale et centrale du Sud-Bénin avaient préalablement été colonisées par P. truncatus, mais T. nigrescens est en train de rattraper sa proie (Fig. 9 et 10). Le sud-est du Bénin a été colonisé à peu près au même moment par les deux. Dans le nord du Bénin, P. truncatus a surtout été trouvé aux alentours des places de marché, ce qui laisse supposer que le ravageur s'est dispersé à la faveur des échanges commerciaux (Fig. 10 et 11). Dans ces régions, T. nigrescens n'a jusqu'ici été trouvé qu'en petit nombre.
Au cours de la présente étude, les pertes en grain imputables à P. truncatus étaient sensiblement en baisse dans tous les sites d'échantillonnage du Sud-Bénin et Togo (Fig. 8 et 9). Dans la partie septentrionale et dans certains sites de la région centrale du Bénin, toutefois, les pertes en grain étaient en hausse dans les zones où d'importants effectifs de P. truncatus ont été capturés dans les pièges (Fig. 10 et 11).
Discussion
Les données d'enquête ont clairement démontré l'établissement et la propagation rapides de T. nigrescens dans toute la province du Mono, dans le sud-ouest du Bénin. En 4 années d'observation, le prédateur est devenu abondant dans toute la région soumise à l'étude, ce qui indique une progression d'ouest en est d'à peu près 70 à 80 km. La progression plus rapide du prédateur au Bénin, par rapport aux indications des études réalisées au Togo (Böye & Fischer, 1993) et au Kenya (Giles et al., 1995), est probablement en rapport avec le commerce intensif du maïs sur la côte béninoise. Le maïs venant du Sud-Togo est souvent exporté, vers l'intérieur du pays ou vers la sous région, notamment le sud du Bénin.
Les récents pullulements de P. truncatus au Burkina Faso et au Niger ont probablement été causés par l'importation de maïs infesté (Bosque-Pérez et al., 1991; Adda et al., 1996), et il se peut aussi que la progression de T. nigrescens soit conditionnée non seulement par la dispersion active des prédateurs, mais aussi par le commerce du maïs dans la région. Dans le sud du Bénin, un seul petit lâcher de 787 T. nigrescens a été effectué en 1992 (Anonyme, 1992), tandis qu'au Togo voisin, en tout 138 700 prédateurs ont été lâchés entre 1991 et 1993 (Böye et al., 1997). Il est donc fort probable que les T. nigrescens rencontrés au cours du suivi des phéromones soient pour la plupart arrivés du Togo. Cela concorde avec le gradient ouest/est distinctement observé au cours des enquêtes de 1992 et de 1993, avec des effectifs élevés de T. nigrescens dans les pièges à phéromone uniquement à la frontière togolaise.
Les résultats des opérations de piégeage effectuées au cous des 5 enquêtes entre 1992 et 1995 démontrent un net accroissement de T. nigrescens accompagné d'un déclin des effectifs de P. truncatus dans les pièges à phéromone. Des études de suivi des lâchers de T. nigrescens au Kenya ont révélé que les effectifs de P. truncatus dans les pièges à phéromone ont considérablement baissé dans les zones de lâchers, et que cela s'est accompagné d'une augmentation des captures de T. nigrescens (Giles et al., 1995).
Les données des opérations continues de piégeage entre 1992 et 1994 ont montré une activité de vol annuelle de type bimodal pour P. truncatus. Les mêmes pics bimodaux annuels pour l'activité de vol ont été notés par Wright et al. (1993) dans leur étude dans le Sud-Togo. Toutefois, en 1995 et 1996, le pic de décembre à février était sensiblement plus bas que ceux des années précédentes, et il a été suivi d'une augmentation des prises de T. nigrescens dans les pièges. Le pic de décembre à février dans l'activité de vol de P. truncatus dans le sud-ouest du Bénin est probablement en rapport avec le cycle du stockage qui a poussé les coléoptères à émigrer des greniers à maïs (Borgemeister et al., 1997). Cependant, le deuxième pic, entre avril et juin, traduit sans doute la recherche par le coléoptère de ses hôtes ligneux naturels. Il y a de forte chances que les prises moins nombreuses de P. truncatus au cours des pics de décembre à février 1995 et 1996 découlent d'une réduction globale de l'abondance de P. truncatus dans les greniers à maïs, causée par T. nigrescens. De plus, le pic comparativement bas d'avril à juin 1996 pour P. truncatus traduit probablement une réduction globale de la présence de P. truncatus dans la région soumise à l'étude.
Les résultats des quatre essais
de stockage successifs en milieu paysan ont clairement démontré une très forte
réduction des infestations de P. truncatus, accompagnée d'une réduction des
pertes en grain et d'un accroissement des densités de T. nigrescens. Le
niveau maximum des pertes en grain enregistré dans les essais de 1994-1995 et de
1995-1996 correspond bel et bien aux pertes moyennes en grain au bout de six mois de
stockage rapportées pour le sud-ouest du Togo avant l'introduction de P. truncatus
(Pantenius, 1987). Mutlu (1994), dans son étude réalisées dans le Sud-Togo, a trouvé
des infestations moins importantes de P. truncatus dans les greniers situés
dans les villages où T. nigrescens avait été lâché, par rapport aux
villages n'ayant pas fait l'objet de lâchers.
Au cours de la présente étude, nous avons observé une diminution des captures de P. truncatus
dans le sud du Bénin et du Togo, accompagnée d'une réduction considérable des pertes
en grain dans les greniers à maïs ruraux. Dans le même temps, nous avons enregistré
une augmentation des effectifs de T. nigrescens dans les pièges à phéromone de
ces régions, ce qui indique l'établissement, la propagation et l'impact du prédateur
sur la dynamique de population de sa proie. Toutefois, dans certaines régions en
particulier le nord du Bénin , les densités du ravageur étaient encore élevées.
C'est ainsi qu'une série de lâchers de T. nigrescens a été effectuée tout
récemment dans plusieurs sites des provinces du Borgou et de l'Atacora, dans le nord du
Bénin (IITA, données non publiées). Des études continuent d'être menées sur
l'analyse d'impact du prédateur dans cette région.
Nous pensons que nos données fournissent la preuve d'une réduction à la fois des
dégâts sur les grains et des populations de P. truncatus suite à un
accroissement des populations de T. nigrescens, donc grâce à la lutte
biologique classique. D'autres lâchers de T. nigrescens dans les pays
africains touchés par les infestations de P. truncatus sont en cours ou sont
prévus. Néanmoins, des études de suivi à long terme seront nécessaires dans ces pays
afin de confirmer l'impact de T. nigrescens sur les populations du grand
capucin du maïs.
Remerciements
Le présent travail a été effectué dans le cadre des projets financés par le ministère allemand de la Coopération économique (BMZ). Les auteurs tiennent à remercier les collègues du Service de la Protection des Végétaux (SPV) à Porto-Novo (Bénin) pour leur collaboration tout au long des lâchers de T. nigrescens dans le nord du Bénin.
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