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Résultats

Quelques résultats encourageants ont été obtenus à l'aide de ces méthodes.

Les ignames

Dioscorea cayenensis-rotundata

Les cultivars appartenant au complexe cayenensis-rotundata de Côte d'Ivoire, ont été étudiés pour leurs variabilités morphologique, isozymique et cytologique. Les quelques 800 accessions étudiées révèlent une grande diversité des morphotypes se distribuant en 20 convars distincts formant eux-mêmes deux grands groupes (18 + 2 convars) sur la base de la durée du cycle végétatif et de l'aptitude à produire une ou deux récoltes par an (Hamon and Touré, 1990).

La variabilité de cinq isozymes a été examinée sur prés de 450 accessions. Certains convars de morphotypes ne présentent qu'un seul zymotype tandis que d'autres sont plus ou moins hétérogènes. Des électromorphes lents caractérisent les zymotypes correspondant aux cultivars ayant un cycle végétatif long.

Les études de cytologie, effectuées par cytométrie en flux, ont montré que les accessions à cycle végétatif court sont tétraploïdes (2n=40) tandis que les autres sont hexa- ou octoploides (Hamon et al., 1992).

Dioscorea alata

Le CIRAD-CA entretient et caractérise en Nouvelle-Calédonie une collection d'environ 130 accessions de Dioscorea alata récoltées localement. Les accessions maintenues au champ ont été décrites pour leur variabilité morpho-agronomique à l'aide de 31 descripteurs standardisés. Les données obtenues par les descriptions morpho-agronomiques ont ensuite été traduites en 89 variables qualitatives. Ces données montrent que les morphotypes diffèrent pour quelques caractères tels que les pigmentations anthocyanées, les formes des feuilles ou la coloration de la chair des tubercules.

Une étude de la variabilité isozymique rassemblant les cultivars néo-calédoniens et 138 accessions, originaires de diverses zones géographiques d'Afrique de l'Ouest, d'Amérique du Sud, des Antilles, et d'Océanie, a ensuite été conduite à partir de plants in vitro à Montpellier. En tout, 269 accessions ont été caractérisées pour leur variabilité à quatre systèmes enzymatiques et on a ainsi identifié 66 zymotypes. Les 131 accessions néo calédoniennes se regroupent en 27 zymotypes et de nombreux morphotypes distincts exhibent des zymogrammes identiques pour les quatre systèmes étudiés.

La variabilité des zymogrammes observée dans les limites de l'étude, peut être considérée comme faible, compte tenu de la diversité des origines du matériel végétal utilisé. On observe que des cultivars d'origines géographiques très diverses exhibent des zymotypes identiques et vice versa, des cultivars d'une même origine géographique exhibent des zymotypes distincts. Il est probable que de nombreux cultivars soient issus de mutations somatiques au sein d'un même clone, ils présentent des morphotypes distincts mais des zymotypes semblables. il est aussi fort probable que ces cultivars ont été distribués sur de très grandes distances sous forme de clones puisque la plupart sont stériles.

Bien que peu de travaux existent sur la diversité génétique de l'espèce, on pense aujourd'hui que sa forte variabilité morpho-agronomique résulte à la fois de recombinaisons par voie sexuée, opérées avant domestication, et de mutations somatiques sélectionnées par clonage. Si l'on en juge par la variabilité des cultivars étudiés, le D. alata semble donc être une espèce cultivée à base génétique étroite.

Les caractéristiques physico-chimiques des amidons semblent extrêmement variables. Elles sont en cours d'évaluation et permettront d'identifier les chimiotypes.

Le taro

Les cultivars correspondent à deux variétés botaniques le Colocasia esculenta var. esculenta (dasheen) et le Colocasia esculenta var. antiquorum (eddoe). Les dasheens sont surtout cultivés en terrasses irriguées et les eddoes tolèrent les systèmes pluviaux. La variabilité est considérable et des descripteurs permettent de distinguer de nombreux morphotypes en fonction des pigmentations des tiges, feuilles et cormes, mais aussi du nombre de stolons ou de feuilles. Les caractéristiques organoleptiques sont aussi très variables et certains cultivars doivent bénéficier de modes de cuisson appropriés.

La variabilité morphologique de 1 417 cultivars et formes sauvages originaires d'Asie et d'Océanie a été étudiée. Ils correspondent à plus de 700 morphotypes distincts. Le polymorphisme enzymatique de plus de 2 000 accessions, représentant les cultivars et certains hybrides F1, a aussi été étudié pour préciser cette première caractérisation (Lebot and Aradhya, 1991). Les sept systèmes enzymatiques les plus polymorphes ne permettent pas une interprétation génétique des zymogrammes, mais le codage de 56 électromorphes indique cependant les origines géographiques présentant une grande diversité allélique. Les analyses multivariées montrent que les 143 zymotypes identifiés sont nettement différenciés en quatre groupes d'origines géographiques distinctes. Les cultivars présentent une base génétique très étroite et la plupart résultent vraisemblablement de mutations somatiques sélectionnées et conservées par les agriculteurs. Quelques gènes seulement sont responsables de la variabilité de certains caractères qualitatifs et correspondent à différents morphotypes d'une même origine génétique. Cette étude a donc démontré l'importance des nouvelles introductions pour élargir la base du germoplasme utilisé par les programmes d'amélioration.

Les isozymes restent cependant de bons indicateurs de divergence entre les accessions des collections. Ils fournissent des empreintes fiables et permettent donc d'éviter les introductions et échanges de cultivars génétiquement très proches, sur de grandes distances, avec tous les risques pathologiques que cela peut présenter.

Les rendements moyens en culture irriguée sont actuellement de 40 à 50 tonnes/ha et d'environ 20 tonnes/ha en culture pluviale, système qui présente le plus fort potentiel de développement. La variabilité génétique rassemblée dans ces collections (tableau 1), devrait permettre d'identifier des cultivars adaptés à la culture pluviale plutôt qu'irriguée. La triploïdie semble, par ailleurs, être agronomiquement plus performante et mieux adaptée au système pluvial, L'avenir des programmes d'amélioration passe probablement par la recherche d'indicateurs de divergence fiables pour cibler les croisements potentiellement intéressants et donc permettre l'obtention de cultivars de type eddoe, triploïdes, présentant une bonne conservation post-récolte et des cormes faciles à récolter.

Tableau 1 - Nombre d'accessions de taro récoltées et caractérisées

Origine Morphotypes Zymotypes Dissimilarité Cytotypes
Hawaii 82 1 0 2x
Polynésie Française 35 3 5,7 2x
Ile de Pâques 9 1 0 2x
Cooks 3 1 0 2x
Niue 5 1 0 2x
Samoas 43 1 0 2x
N. Zélande 6 1 0 2x
Ponapé 11 3 5,7 2x
Papouasie Nlle. Guinée 452 70 53 2x, 3x
Salomon 262 43 51 2x, 3x
Nlle. Calédonie 82 18 51 2x, 3x
Vanuatu 154 8 15,1 2x, 3x
Fidji 47 3 5,7 2x, 3x
Indonésie 52 38 80 2x, 3x
Malaise 3 3 64 2x
Thaïlande 1 1 0 2x
Inde 5 4 66 2x
Philippines 146 3 5,4 2x
Japon 18 7 73 2x, 3x
Chine 1 1 0 2x

Zymotypes= identifiés par 7 systèmes enzymatiques;
Dissimilarité = 100 - nombre d'électromorphes identiques.

Les plantains

Les plantains du Pacifique sont difficiles à récolter, décrire et classer du fait des problèmes que pose la récolte de germoplasme. Le transport de matériel végétal est délicat car ces mouvements risquent d'introduire des pathogènes. Par conséquent, ces cultivars ont été peu étudiés et leur classification génomique restait à confirmer. Les plantains du Pacifique sont un sous-groupe AAB nettement différencié des autres plantains d'Asie du Sud-Est. Trois cultivars composent ce sous-groupe et sont connus sous leurs noms Hawaiiens de Maoli, Popoulu et Iholena. Ils sont cultivés aussi bien en Mélanésie, en Polynésie qu'en Micronésie.

La variabilité intra-cultivar est importante et les agriculteurs dénomment et reconnaissent en moyenne une dizaine de morphotypes distincts pour chaque cultivar. Une clé dichotomique de détermination nous a permis de classer les nombreux morphotypes, que nous avons récoltés, et d'établir des concordances (Lebot et al., 1994). En collaboration avec des chercheurs nationaux, des collections de germoplasme local ont été installées dans les pays concernés par ce programme (Papouasie-Nouvelle Guinée, Vanuatu, Nouvelle-Calédonie, Samoa occidentales, Polynésie française et Hawaii).

Au total, 563 accessions (tableau 2) appartenant aux différents groupes génomiques et à des descendances de diploïdes ont été étudiées pour leur polymorphisme enzymatique de manière à identifier des allèles spécifiques et sous spécifiques (Lebot et al., 1993). Les zymotypes des cultivars de Nouvelle-Guinée indiquent qu'il existe dans cette région des triploïdes M. acuminata autochtones (AAA), ce qui semblait peu probable auparavant. Les plantains du Pacifique appartiennent bien au groupe des AAB mais sont nettement différenciés des triploïdes AAB Asiatiques par une contribution de Musa acuminata ssp. banksii à leur génome. Pour ces cultivars, les nombreux morphotypes connus sous des noms vernaculaires différents présentent des zymotypes identiques et sont donc probablement des mutants somatiques conservés par clonage. La même observation reste vraie pour les groupe ABB et ABBB.

Tableau 2 - Nombre d'accessions de plantains récoltées et caractérisées.

Origine AA AAA AAB ABB ABBB BB Total
Descendances 240 - - - - 120 360
Clones asiatique 6 32 13 4 - 4 59
Hawaii 1 0 20 - - - 21
Polynésie française 1 2 28 11 2 - 44
Samoa occidentale 0 0 4 1 1 - 6
Nouvelle Calédonie 0 0 21 5 - - 26
Vanuatu 11 5 23 14 - - 53
Papouasie-N. Guinée 133 70 86 57 8 - 354
Total accessions 152 109 195 92 11 4 563
Zymotypes 51 65 49 22 3 2 192

On observe des allèles spécifiques à Musa acuminata et à Musa balbisiana et une bonne concordance entre la traditionnelle taxonomie des descripteurs morphologiques et la classification obtenue à partir des zymotypes. Les isozymes sont suffisamment discriminants pour permettre une identification précise des cultivars par empreinte électrophorétique. Les cultivars de plantains du Pacifique seraient certainement intéressants à vulgariser dans d'autres zones géographiques, notamment en Afrique.

Le kava

Cette plante est cultivée pour les remarquables propriétés anxiolytiques de ses principes actifs, les kavalactones, qui permettent d'obtenir une boisson relaxante à partir d'un extrait de racines. Il était nécessaire de caractériser son germoplasme pour pouvoir sélectionner les cultivars. Les prospections ont concerné 54 îles du Pacifique et 318 cultivars locaux de P. methysticum ont été récoltés (tableau 3). La variabilité est considérable et concerne aussi bien le rendement racinaire en matière sèche que les morphotypes. Des descriptions morpho-agronomiques effectuées à l'aide de huit descripteurs fortement discriminants nous ont permis d'identifier 118 morphotypes distincts (Lebot and Lévesque, 1996).

Tableau 3 - Nombre d'accessions de kava récoltées et caractérisées

Pays Morphotypes Chimiotypes Zymotypes Cytotypes
Papouasie-N. Guinée 4 F 9,10 10x
Vanuatu 80 E, F, G, H 9,10 10x
Fidji 12 I 10 10x
Tonga 7 E, G 10 10x
Samoa Occ. 6 G, H, I 10 10x
Samoa Amér 5 G, H 10 10x
Wallis & Futuna 3 E 10 10x
Cooks 1 I 10 10x
Tahiti 3 I 10 10x
Marquises 1 E 10 10x
Hawaii 11 E, I 10 10x
Ponapé 2 E, I 10 10x
Kosrae 1 E 10 10x

Le kava contient plusieurs principes actifs très similaires dans leur structure. La composition chimique d'un cultivar est exprimée à l'aide d'un simple code. Il représente le chimiotype de l'extrait analysé suivant un ordre d'importance décroissante des six kavalactones majeures de l'extrait. Ce codage est désormais utilisé par l'industrie pharmaceutique et aide à représenter la composition chimique du cultivar. De plus, des analyses multivariées des données obtenues permettent de visualiser la variabilité chimiotypique et d'identifier 9 grands groupes.

On observe des variations de teneurs et de compositions importantes lorsque les cultivars sont cultivés dans un milieu donné et homogène (Lebot and Lévesque, 1996). Des essais agronomiques ont permis de conclure que la teneur en kavalactones était affectée par les effets du milieu et l'âge de la plante. Les teneurs peuvent varier de 4 à 21% en fonction du cultivar, et pour un même cultivar selon l'organe de la plante et l'environnement pédo-climatique. Par contre, le chimiotype d'un cultivar est parfaitement stable et indépendant de l'année ou de la saison de récolte et de l'île où il est cultivé. Le chimiotype est un indicateur de divergence fiable entre accessions et un marqueur moléculaire robuste. C'est aussi le critère fondamental pour sélectionner les clones. La sélection clonale s'est faite d'abord sur les chimiotypes et accessoirement sur les morphotypes car les concordances entre morphotypes et chimiotypes ne sont pas évidentes; si des morphotypes identiques mais d'origines géographiques différentes peuvent présenter des chimiotypes semblables, l'inverse est aussi vrai.

L'étude du polymorphisme de huit systèmes enzymatiques démontre une base génétique très étroite pour les cultivars. En Polynésie et en Micronésie par exemple 93 accessions représentant 28 morphotypes et quatre chimiotypes distincts n'ont pu être différenciées et présentent toutes le même zymotype. Les accessions du germoplasme, précédemment différenciées en 118 morphotypes et 9 chimiotypes, sont discriminées en seulement trois zymotypes sur la totalité de l'aire de distribution. il existe une correspondance entre les chimiotypes et les zymotypes. Les chimiotypes les plus appréciés, c'est à dire ceux dont la teneur en dihydrométhysticine est faible et la teneur en kawaïne forte, présentent tous les mêmes profils électrophorétiques. Il est fort probable que ces chimiotypes soient le résultat d'une longue et intense sélection par les paysans.

Conclusion

Nous avons présenté dans cet article des résultats obtenus essentiellement par des chercheurs du CIRAD sur les plantes à racines et tubercules et les plantains. De nombreux résultats de même nature existent aussi pour le manioc, la patate douce, le macabo et d'autres espèces d'ignames. Tous ces résultats concordent pour révéler que, compte tenu des difficultés que rencontre l'amélioration génétique de ces plantes, il est urgent de caractériser et d'évaluer les ressources génétiques existantes car des cultivars d'intérêt potentiel méritent certainement d'être sélectionnés et multipliés. La méthode décrite ici est, à notre avis, la seule permettant de rapides avancées en la matière.

La précision des descriptions morpho-agronomiques effectuées ex situ paraît essentielle pour une première caractérisation de ces ressources génétiques. Pour toutes les espèces étudiées, différents morphotypes peuvent éventuellement présenter un même chimiotype et/ou zymotype, mais le contraire est rarement observé, peut être en raison de la précision des descriptions morpho-agronomiques. Les concordances entre zymotypes et morphotypes ne sont pas évidentes puisque les isozymes sont généralement indépendants des diverses pressions de sélection exercées par l'agriculteur ou le milieu, à un zymotype peuvent donc correspondre plusieurs morphotypes et vice versa. Ces discordances ne sont pas gênantes, au contraire, les résultats obtenus par une technique plutôt qu'une autre, donnent des informations complémentaires sur la variabilité du matériel et précisent l'idée que l'on s'en fait.

Apparemment, de nombreux cultivars seraient issus d'une sélection de mutants somatiques opérée par les agriculteurs. En raison de l'étroitesse des bases génétiques, liées à la multiplication végétative, l'attitude raisonnée des agriculteurs aurait visé à diversifier leur matériel par multiplication clonale. Leurs résultats sont souvent aussi spectaculaires qu'utiles mais les potentialités adaptatives de ce matériel sont faibles. La modification des agrosystèmes est actuellement très rapide et la dispersion des pathogènes, souvent alarmante (Lebot, 1992). L'érosion génétique est réelle: sous l'effet combiné de la modification des agrosystèmes et de la vulnérabilité des cultivars dont la base génétique est très étroite, elle peut aller jusqu'à l'abandon des cultures traditionnelles au profit de nouvelles espèces.

Il est donc important de mettre aujourd'hui l'accent sur la caractérisation et sur la conservation des cultivars traditionnels dont le potentiel pour les programmes d'amélioration deviendra aisément évaluable lorsque les caractéristiques physico-chimiques des amidons seront déterminées.

Bibliographie

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HAMON P., BRIZARD J. P., ZOUNDJIHEKPON J., DUPERAY C.,

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