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Les effets de la mécanisation sur la productivité en maïsiculture. Cas de la zone cotonnière
Guy FAURE, Jean-Louis FUSILLIER, Jean-Leu MARCHAND
Département des cultures annuelles, CIRAD, Montpellier, France
Résumé. La zone de savane a connu un important mouvement de mécanisation de l'agriculture au cours des vingt dernières années. Il s'agit essentiellement de l'équipement des exploitations en matériel de culture attelée; la petite motorisation, introduite plus récemment, reste marginale compte tenu de l'arrêt de sa diffusion ces dernières années. Le passage à un niveau de mécanisation supérieur constitue un bouleversement majeur du système de production. A l'échelon de l'exploitation, on note l'accroissement de la superficie cultivée qui renforce les besoins en main-d'oeuvre, compte tenu de la mécanisation sélective des opérations. L'assolement est aussi modifié, la part du maïs progresse considérablement au détriment du sorgho car le rendement potentiel de la culture devient un critère fondamental pour le producteur confronté au financement des équipements. Sur le plan de la culture du maïs, on constate généralement que la mécanisation s'accompagne d'une élévation du rendement. Cette élévation tient d'abord au fait que l'utilisation des intrants croît souvent avec le niveau de mécanisation. Toutefois intervient également le fait que la mécanisation permet de réaliser rapidement les travaux de labour et de mieux respecter les dates optimales de semis, facteur important du rendement. La hiérarchie des divers niveaux de mécanisation en matière de productivité des facteurs (marge nette/ha, marge nette/jour de travail) est conditionnée par deux éléments éminemment variables: le rendement, qui dépend lui-même du degré de maîtrise de la culture, et le prix du maïs. La culture attelée apparaît la plus avantageuse lorsque les variétés et les techniques culturales ne sont pas au point ou lorsque le maïs est valorisé à bas prix. La culture motorisée n'obtient l'avantage qu'en cas de conditions culturales et économiques favorables; elle apparaît de ce fait très risquée.
Un trait marquant de l'évolution (Je l'agriculture de la zone de savane, au cours des trente dernières années, est l'essor de la mécanisation. Diffusée à partir des années 60, la culture attelée avec traction bovine est maintenant couramment répandue au sud du Mali, à l'ouest du Burkina Faso, au nord de la Côte-d'Ivoire et au nord du Cameroun. La proportion des exploitations équipées d'attelages varie certes considérable ment selon les régions: elle est évaluée à 31 % dans l'ouest du Burkina Faso (enquête de Schwartz dans les régions de la Boucle du Mohoun et des hauts-bassins, 1989), contre 70 % au sud du Mali (enquête exhaustive de la CMDT, 1988-1989). La petite motorisation a également été promue à la fin des années 70 par les sociétés d'encadrement du cotonnier, mais sa diffusion reste très limitée. Les effectifs de petits tracteurs en service actuellement ne dépassent pas les 300 dans chacun des pays mentionnés. Cette forme de mécanisation-motorisation est entrée dans une phase de stagnation, voire même de régression ces dernières années, avec le désengagement des structures d'appui; sa viabilité économique paraît d'autant plus incertaine dans le nouveau contexte de baisse de la marge cotonnière.
Les conditions d'équipement des exploitations et les effets induits par la mécanisation ont été l'objet de nombreuses études. Parmi ces dernières, la synthèse de BIGOT et RAYMOND (1991) constitue une référence. On s'appuiera sur ce travail et sur ceux plus actuels de TERSIGUEL (1992) et FAURE (1992; 1993) au Burkina Faso, pour préciser, au niveau de la maïsiculture, la productivité respective des divers niveaux de mécanisation. Il convient toutefois de garder conscience que le maïs ne constitue généralement qu'une composante des systèmes de culture, occupant une faible place dans le produit d'exploitation. L'appréciation ultime de l'intérêt des diverses formes de mécanisation doit être réalisée au niveau de l'ensemble de l'exploitation.
Une extension de la surface cultivée au profit du maïs et du cotonnier
L'effet «surface cultivée» de la mécanisation et de la motorisation est le plus marquant. Dans les trois villages de l'ouest du Burkina Faso étudiés par Faure (Il 992), les exploitations en culture manuelle cultivent 3,8 ha, contre 11 ha pour celles disposant de la traction animale et 35 ha pour celles passées à la petite motorisation. Ces écarts ne résultent pas seulement du processus de mécanisation mais tiennent surtout au fait que ce sont les exploitations ayant les ressources en main-d'oeuvre et en terre les plus abondantes qui accèdent de façon privilégiée à la mécanisation. Une accumulation préalable est en effet nécessaire pour financer les équipements. L'assolement est considérablement modifié. Le cotonnier et le maïs voient leur part croître avec la mécanisation au détriment du mil-sorgho. La surface en coton augmente logiquement car c'est la culture commerciale qui doit couvrir l'essentiel des charges liées à la mécanisation-motorisation. Le maïs est également privilégié car il présente un potentiel productif élevé et peut être partiellement commercialisé (figure 1).
Une mécanisation sélective des opérations culturales
La mécanisation intervient de façon privilégiée pour la préparation du sol. Il s'agit en effet d'une tâche particulièrement pénible à réaliser manuellement et le recours à la charrue s'avère alors d'une grande efficacité. La fréquence de la mécanisation va en décroissant pour le sarclage, puis pour le semis. La diffusion de matériel pour ces opérations (multiculteurs et semoirs), commencée plus récemment, se poursuit toutefois à un rythme rapide. La récolte demeure intégralement manuelle, devenant ainsi un goulet d'étranglement majeur. L'application de tâches manuelles sur des surfaces considérablement élargies induit une utilisation accrue de la force de travail. Cela passe par le recours à des salariés et un alourdissement de la charge de travail des actifs familiaux, notamment les femmes et enfants. Ce constat n'est nullement spécifique à la culture du maïs (figure 2).
Une diminution du temps de travail par hectare
Les diverses études disponibles ne s'accordent pas sur l'ampleur de l'économie de travail par hectare obtenue en passant à un stade de mécanisation supérieur (figure 3).
Il semble que les données de VERNIER et ARNAUD (1989) aient été obtenues dans des exploitations à main-d'oeuvre particulièrement peu productive ou peu accoutumées à la culture du maïs. Les données de FAURE et TERSIGUEL (Op. cit.) sont plus proches des normes de temps de travaux couramment admises en culture manuelle et attelée. La faiblesse de la réduction de la quantité de travail par hectare entre culture manuelle et motorisée chez Faure (seulement 10 jours) peut surprendre. Cette économie de travail permet une progression de la surface cultivée par résident, illustrée sur la figure 4.
Figure 2. Mécanisation des opérations culturales sur maïs encadré par la CMDT au Mali, en 1991.
Figure 3. Travail fourni pour la culture du maïs selon le niveau de mécanisation.
Un rendement en maïs plus élevé
A l'exception du cas ivoirien étudié par Bigot au début des années 80, le rendement en maïs s'élève de façon significative avec le niveau de mécanisation. Il convient de nuancer cette relation car les exploitations les plus mécanisées, dotées de moyens financiers plus importants, peuvent aussi être celles qui utilisent les plus grandes quantités d'intrants par hectare (bien que les données recueillies par Faure ne le confirment pas). La mécanisation permet certainement une meilleure maîtrise de la culture (respect du calendrier cultural optimal rendu possible par une réalisation plus rapide des tâches, surtout pour la préparation du sol, semis à bonne densité...), facteur important du rendement. On pourrait également penser que les exploitations motorisées ont réussi à mieux valoriser l'amélioration du «paquet technique maïs» (variétés améliorées, doses d'engrais...). En effet, l'écart de rendement entre manuel et motorisé s'est considérablement creusé entre les enquêtes du début et celles de la fin des années 80 (figure 5).
La question de la durabilité du système de culture est souvent posée lorsqu'il y a passage à la culture motorisée. Les enquêtes réalisées au Mali et au Burkina Faso montrent un maintien du niveau de rendement en maïs dans les exploitations en petite motorisation. Par contre, on constate un fléchissement du rendement en sorgho. Aucune conclusion nette ne se dégage donc (figure 6).
La productivité de la terre et du travail
On a considéré ici les données les plus récentes: celles de l'étude de Faure qui' se rapporte aux campagnes 1990-1991 et 1991-1992 et concerne un échantillon annuel de 10 exploitations non mécanisées, 14 avec attelages et 12 avec petite motorisation.
Figure 5. Rendement en maïs selon le niveau de mécanisation des exploitations.
Figure 6. Evolution des rendements céréaliers après petite mécanisation au Mali et au Burkina Faso.
Les charges «fixes» (qui comprennent ici le remboursement des emprunts, l'entretien du matériel et le carburant et correspondent donc plutôt aux charges liées à la mécanisation) progressent fortement lors du passage de la culture attelée à motorisée (de 3 600 à 27 400 FCFA/ha). Par contre, on note un niveau de charges «fixes» voisin dans les exploitations en culture manuelle et attelée. Les exploitations non mécanisées de l'échantillon connaissent un niveau élevé d'endettement relativement à leur revenu, tandis que les exploitations avec attelages ont apparemment déjà remboursé en grande partie leur équipement. Les données de TERSIGUEL confirment ce constat.
Les charges «directes» (intrants, main-d'oeuvre extérieure, prestations de service) sont de niveau comparable rapportées à l'hectare dans les trois types d'exploitations (de 17 000 à 20 000 FCFA/ha). L'application des engrais varie peu d'un type à l'autre. L'élement qui diffère pèse d'un très faible poids dans les charges «directes»; il s'agit de l'utilisation de manuvres dans les exploitations motorisées ou les grandes exploitations mécanisées, et du recours à la prestation de service pour le labour dans les exploitations non équipées.
L'augmentation du produit brut par hectare avec le niveau de mécanisation accompagne l'élévation du rendement en maïs (2 t/ha en manuel, 2,6 t/ha en attelé, 3 t/ha en motorisé). Compte tenu de l'importance des charges «fixes» en culture motorisée, c'est la culture attelée qui donne la marge nette par hectare la plus élevée dans la bande de prix usuelle du maïs (30 à 60 F/kg). Mais le critère économique privilégié par les producteurs est généralement la productivité du travail (évaluée d'après la marge nette par jour de travail), la situation dominante étant celle où le travail constitue le facteur limitant. Les exploitations en culture attelée obtiennent une productivité du travail nettement supérieure à celle des exploitations non équipées quel que soit le prix du maïs. Le passage à la culture motorisée en revanche ne permet un gain de productivité du travail qu'avec une valorisation élevée du maïs (prix supérieur à 55 F/kg). La marge nette par jour de travail obtenue en culture motorisée est inférieure de 15 % à celle obtenue en culture attelée avec un maïs valorisé à 30 F/kg, prix couramment atteint sur le marché. L'instabilité du prix du maïs fait de la motorisation une technique très risquée (figure 7).
Références bibliographiques
BIGOT Y., RAYMOND G., 1991. Traction animale et motorisation en zone cotonnière d'Afrique de l'Ouest. Documents Systèmes agraires n°14 CIRAD, 95 p.
CMDT 1989. Le projet Mali Sud III. La mécanisation rurale, 101 p.
FAURE G., 1992. Intensification et sédentarisation des exploitations mécanisées. Rapport annuel en agroéconomie, campagne 1991/1992. INERA, 52 p.
FAURE G., 1993. Mécanisation, productivité du travail et risques: le cas du Burkina Faso. Séminaire SFER, Montpellier 13-14 mai 1993. 18 p.
PERSOONS C., 1987. La mécanisation dans les exploitations agricoles d'un village du Mali Sud: conséquences économiques et sociales. Mémoire de DAA, ENSAM, 70 p.+ annexes.
TERSIGUEL P., 1992. Boho-Kari, village Bwa: les effets de la mécanisation dans l'aire cotonnière du Burkina Faso. Thèse de Doctorat de géographie, 528 p.
VERNIER P., ARNAUD M., 1989. L'introduction de la motorisation intermédiaire dans la région du sud-est du Bénoué (Nord Cameroun). Les cahiers de la recherche-développement, 23:26-39.
WEY J., 1993. Optimisation des systèmes de culture maïsicoles dans l'ouest du Burkina Faso. INERA/CIRAD-CA, 26 p.
Quelques problèmes spécifiques à la maïsiculture irriguée: le cas de la vallée du Sénégal
Jean-Leu MARCHAND
Département des cultures annuelles, CIRAD, Montpellier, France
Résumé. Il est techniquement possible de cultiver du maïs, en contre-saison fraîche avec irrigation totale et en hivernage avec irrigation complémentaire, à condition de lever certaines contraintes techniques de sol et de climat, de choisir des variétés adaptées et d'assurer une meilleure maîtrise de l'irrigation. Mais d'autres contraintes, d'ordre économique ou social, risquent de contrarier le développement de la maïsiculture irriguée.
Le maïs irrigué
Par rapport aux autres céréales, le maïs répond mieux à l'intensification que le sorgho et le mil. il consomme moitié moins d'eau que le riz irrigué.
Par rapport au maïs pluvial, le maïs irrigué est plus coûteux en culture d'hivernage (coût de l'irrigation de complément) mais, les champs étant plus groupés, il est plus facile à collecter. En culture de contre saison, l'irrigation totale coûte cher, mais les prix d'achat sont en général plus élevés. C'est donc une culture qui semble pouvoir être rentable.
Hivernage et contre-saison
La culture en contre-saison chaude est exclue car les températures très élevées, le vent et la sécheresse de l'air gênent considérablement la plante et provoquent des baisses de rendement importantes.
En contre saison fraîche, par rapport à une culture d'hivernage, les rendements potentiels sont plus élevés (jusqu'à 7 ou 8 t/ha en essais), l'enherbement est réduit (les adventices, gênées par les faibles températures, lèvent mal et se développent lentement) et les attaques d'insectes sont réduites.
Ceci conduit à définir deux cibles. En hivernage, on peut pratiquer une culture très proche de celle d'un maïs pluvial, l'irrigation ne venant qu'en complément. On vise des rendements moyens et on accepte la concurrence avec le maïs pluvial. En contre-saison fraîche, les rendements potentiels élevés plaident pour une culture intensive, seule capable de rentabiliser le coût de l'irrigation totale.
Sols légers et sols lourds
Dans toute la vallée du Sénégal, on retrouve la même toposéquence (figure 1). Le maïs peut être cultivé sur fondé (sols alluviaux, lourds) et sur diéri (sable dunaire, sols légers). Les cultures sur sols de, pratiquées dans le delta avec irrigation par aspersion, ne présentent pas de problèmes spécifiques par rapport aux cultures pluviales, sinon ceux des techniques d'irrigation. Elles n'en présentent pas non plus par rapport aux cultures sur fondé. Ces derniers sont toutefois des sols filtrants, à réserve en eau faible (on retrouve la question des techniques d'irrigation), où les problèmes d'asphyxie liés à un mauvais drainage sont rares.
La culture sur diéri pose moins de problèmes que celle sur fondé, ce qui explique que les rendements soient plus élevés.
Les problèmes spécifiques au maïs irrigué
Le maïs est cultivé actuellement dans la vallée du fleuve Sénégal, dans des casiers aménagés pour le riz, avec irrigation par lame d'eau. Les problèmes qui se posent à cette culture tiennent essentiellement au climat, aux sols et aux techniques d'irrigation.
Le climat
Il faut éviter, pour le semis comme pour la croissance du maïs, les trop fortes températures (avril-juin et octobre), les trop faibles températures (à partir de mi-novembre) au moins pour le semis, l'harmattan, et, toujours pour les semis, les fortes pluies de fin juillet et d'août.
Ceci impose des créneaux relativement étroits pour les semis:
Les sols
En schématisant beaucoup, et en se limitant au Oualo, on trouve trois grandes catégories de sols
La culture du maïs est donc possible sur fondé et faux hollandé. Ce sont des sols lourds, drainant mal, formant facilement une croûte en surface. Ils sont très généralement carencés en phosphore et en soufre. Leur capacité au champ est élevée à très élevée (200 à 300 mm/m).
Figure 1. Toposéquence caractéristique de la vallée du fleuve Sénégal.
L'irrigation
L'eau est faiblement minéralisée, mais chargée en ions carbonates. L'irrigation est faite généralement par lame d'eau, dans des casiers à vocation rizicole plus ou moins bien planés. La gestion de l'eau se fait au niveau du périmètre. Les apports sont le plus souvent trop abondants et trop espacés. Il s'ensuit que la culture subit des alternances de submersions et de sécheresses, avec des conséquences sérieuses sur le développement des plantes et le rendement. Le problème serait différent en irrigation par aspersion, mais le coût de l'investissement est un obstacle.
Les conséquences
Lorsqu'il y a à la fois des sols lourds et mal drainés, une irrigation mal conduite, une eau chargée en ions carbonates et une forte demande évaporative, les conséquences peuvent être, et sont souvent, graves
Les remèdes
Pour éviter ces conséquences négatives, des solutions techniques existent.
Le drainage est absolument nécessaire, pour éviter les remontées de sel, le risque d'alcalinisation et l'asphyxie racinaire.
L'irrigation à la raie ou par aspersion serait un progrès. Si l'irrigation se fait par lame d'eau, un meilleur planage des casiers serait favorable.
Le labour profond permet un bon enracinement, donc une alimentation minérale et hydrique correcte. Il limite les risques d'asphyxie, comme le billonnage qui peut aussi être utile.
Le semis devrait être moins profond (couramment 10 cm) pour éviter l'asphyxie des plantules lors des premières irrigations. C'est la cause principale des faibles densités observées même lorsque la densité au semis est correcte.
Les variétés doivent à la fois, outre les qualités classiques, tolérer des températures souvent élevées, des stress hydriques et des submersions temporaires (il existe une variabilité génétique Pour ces facteurs). Elles doivent avoir un système racinaire puissant et, au moins pour la culture de contre-saison fraîche, répondre à l'intensification. En contre-saison fraîche, des hybrides tempérés peuvent être cultivés avec succès.
Les autres contraintes
D'autres contraintes existent: l'écoulement de la production, en l'absence de filière organisée et de débouchés assurés;
Il n'est pas sûr que ces contraintes permettent le développement du maïs comme culture irriguée.
Jean-Louis FUSILLIER
Département des cultures annuelles, CIRAD, Montpellier, France
Résumé. Au cours des années 1975-1985, la Côte-d'Ivoire a vu émerger une filière avicole semi-industrielle induisant une importante demande en maïs. Initialement satisfait par des importations, l'approvisionnement en maïs des provenderies est reporté sur le marché local à la faveur de la hausse du prix du maïs importé et de l'adoption de mesures protectionnistes par les pouvoirs publics. Si l'objectif des pouvoirs publics de substitution d'un maïs local au maïs importé, à un coût acceptable pour les provenderies, a bien été atteint, en revanche, le second objectif de développement régional n'a pas été atteint. Il s'agissait en effet de promouvoir le maïs comme nouvelle culture de rente dans la zone de savane, afin d'offrir aux paysans un complément au coton. Bien que la zone de savane soit l'aire de culture privilégiée du maïs en Côte-d'Ivoire, la réponse de l'offre au développement du marché est intervenue essentiellement dans une région forestière: le centre-ouest. Cette dynamique régionale repose sur deux principaux facteurs. D'une part, le contexte d'une agriculture de plantation dynamique avec des disponibilités foncières encore "importantes a permis une mobilisation de ressources en travail et en terre pour la culture du maïs. D'autre part, le secteur de la collecte est animé par des réseaux marchands privés très denses, compte tenu de l'importance des flux marchands agricoles (café, cacao, vivriers) et prêts à saisir toutes les opportunités commerciales en stimulant directement la production. Il convient néanmoins de s'interroger sur l'avenir de cette dynamique maïsicole, lorsque la pression démographique ne permettra plus la simple extension des surfaces cultivées.
Le contexte du début des années 80
La Côte-d'Ivoire connaît durant les années 70 un développement économique accéléré grâce à la conjonction de la montée en production de son verger cacaoyer, et dans une moindre mesure caféier, et de l'envolée des cours de ces produits sur le marché international. Cette conjoncture favorable est mise à profit par les pouvoirs publics pour développer, dans le cadre d'une politique industrielle ambitieuse, une filière dont le marché est particulièrement porteur: il s'agit de la filière avicole. La société semi-publique mise en place (la SIPRA) contrôle la production d'aliments et de poussins, l'abattage des poulets et intègre des éleveurs privés en leur assurant un appui technique. L'investissement considérable réalisé induit une demande fortement croissante en maïs, base calorique des aliments pour volaille. De quelques milliers de tonnes avant 1975, les besoins en maïs pour la provende passent à près de 30 000 t au début des années 80. L'approvisionnement repose jusqu'alors principalement sur l'importation. D'abord par commodité: le circuit à l'importation permet des livraisons régulières, par lots de grandes quantités (une fonction de centralisation de l'offre est déjà assurée), avec une qualité fiable. Ensuite pour des raisons de coût: la fin des années 70 est en effet marquée par une forte inflation à laquelle le maïs local n'échappe pas.
Deux considérations amènent les pouvoirs publics à faire infléchir la stratégie d'approvisionnement des provenderies au profit du maïs local.
La conjoncture économique a changé avec le retournement à la baisse des cours mondiaux du café et cacao. L'heure est à la recherche d'une économie de devises pour rééquilibrer la balance des paiements. Or, les importations de maïs, qui ne paraissent nullement vitales puisqu'il existe une production locale dynamique, commencent à représenter un coût conséquent (1,5 milliard de FCFA). L'accroissement rapide des besoins se conjugue en effet avec un renchérissement du maïs importé lié à la hausse du dollar et du cours mondial du maïs. Le maïs local devenant compétitif, les provenderies accèdent d'autant plus facilement à la demande des pouvoirs publics de suspendre les importations de maïs.
La protection du marché du maïs s'inscrit également dans une volonté d'appuyer le développement agricole de la zone de savane, partie défavorisée du pays. Le maïs y constitue en effet une des principales cultures et l'ouverture d'un débouché de plusieurs dizaines de milliers de tonnes est l'opportunité attendue pour faire évoluer le maïs du statut de culture vivrière stricte (autoconsommée) à celui de culture de rente pouvant financer des charges d'intensification. La société d'encadrement du cotonnier, chargée aussi de la vulgarisation sur les céréales, encourage vivement l'adoption de cette politique protectionniste. Le maïs est en effet complémentaire du cotonnier dans la rotation culturale et sa valorisation marchande peut améliorer les possibilités d'équipement et d'intensification pour les exploitations que la société encadre. Par ailleurs, cette société vient à l'époque de s'engager dans une action de collecte du maïs et souhaite écouler son stock auprès des provenderies.
La politique de promotion de la production de maïs comporte deux volets.
Le premier volet est la restriction quantitative des importations. Les importations sont soumises à une autorisation administrative préalable. Cette dernière ne doit être en principe accordée qu'en cas Cie pénurie sur le marché local, au prix officiel d'achat pet des provenderies éventuellement quelque peu majoré.
Le second volet est la fixation d'un prix seuil d'achat du maïs par les fabricants d'aliment du bétail et les sociétés gérant des silos (intégrés généralement à une rizerie). Le niveau du prix (50 FCFA/kg rendu usine et 40 FCFA/kg au producteur), aurait été fixé à partir d'un calcul du coût de production du maïs obtenu dans le cas d'une culture relativement intensive (avec semence améliorée et engrais), conduite selon les normes recommandées par la société cotonnière. Ces prix se sont en fait avérés très attractifs pour les exploitations en culture extensive sans intrants monétaires. Le prix au producteur est purement indicatif, dans la mesure où aucun industriel ne s'est investi dans la collecte.
Si l'objectif de substitution aux importations a bien été atteint, et même dépassé, puisque la Côte-d'Ivoire est devenue exportatrice de maïs pour des tonnages importants en 1984 et 1985 (respectivement 35 000 et 57 000 t), en revanche, l'objectif de développe ment régional n'a pas été rempli. La réponse de l'offre est surtout intervenue dans une zone forestière: le centre-ouest.
Des dynamiques régionales différenciées
Une approche statistique des dynamiques de production est toujours délicate compte tenu de la faible fiabilité des données, surtout lorsqu'on descend plus bas que l'échelle nationale. Il convient de retenir les seules données se rapportant aux années au cours desquelles un protocole d'enquête rigoureux a été suivi: 1974, année du recensement de l'agriculture, et 1980-1984.
La période 1974-1984 est marquée par une importante diffusion du maïs dans la zone forestière. La production de maïs s'y serait en effet élevée deux fois plus rapidement que dans la zone de savane (les taux de croissance annuels respectifs durant cette période sont de 6,9 % et 3,5 %). La région du centre-ouest (Daloa, Gagnoa, Bouaflé, Divo), qui se rattache à la zone forestière, aurait ainsi atteint en 1984 un niveau de production de plus de 100 000 t, voisin de celui de la région nord (Odienné, Korhogo, Ferké) qui constituait traditionnellement le pôle de production largement dominant, compte tenu de son climat particulièrement propice à la culture du maïs (figure 1).
La production de maïs du centre-ouest se caractérise par son caractère commercial affirmé. En 1982, une enquête menée par la SCET AGRI estime que 55 % de la production de maïs est commercialisée; le centre-ouest fournirait ainsi à lui seul près de la moitié des flux de maïs commercialisés en Côte d'Ivoire. Une enquête de la DCGTX réalisée en 1986 confirme la position de pôle d'approvisionnement national du marché du maïs tenue par le centre-ouest: cette région «exporterait» vers le reste du pays 40 000 t, soit près de 40 % des flux inter-régionaux de maïs (figure 2).
Dans la région du nord, la production de maïs conserve son statut vivrier strict; seulement 11 % de la production serait commercialisée en 1982 d'après la SCET AGRI. Le nord reste en marge des échanges inter-régionaux, il n'«exporterait» que 5 000 t en 1986 d'après la DCGTX. Le commerce du maïs n'apparaît pas plus dynamique dans la région centre-nord (Touba, Séguela, Katiola); le flux «exporté» se limite à 4 300 t en 1986. Il est manifeste que, malgré sa vocation maïsicole rappelée par les pouvoirs publics et encouragée par un encadrement technique plus important assuré par la société cotonnière, la zone de savane septentrionale n'a pas été- en mesure de conquérir le marché de l'alimentation animale.
Figure 1. Evolution de la production de maïs par région, de 1974 à 1984.
Figure 2 Flux interrégionaux de maïs en 1986.
Les facteurs de l'expansion maïsicole du centre-ouest
Une mobilisation de nouvelles ressources en terre et en travail
Le centre-ouest connaît jusqu'au début des années 80 une intense immigration d'agriculteurs pionniers venus créer une plantation de café ou de cacao, cultures de rente hautement rémunératrices à l'époque. Le centre-ouest dispose d'une assez grande abondance de terres (la densité de population rurale est alors généralement inférieure à 40 habitants par km') et les autochtones sont incités à céder leurs droits fonciers sur la forêt du fait d'une législation foncière très favorable aux immigrants. Si le travail sur la plantation constitue l'activité prioritaire, les paysans cherchent également à couvrir leurs besoins vivriers par une production domestique. Le maïs est une composante majeure du système de culture vivrier adopté par les immigrants originaires de la zone de savane (Burkinabés, Ivoiriens du nord, Maliens), qui parviennent, dans nombre de zones du centre-ouest (surtout vers Vavoua, Daloa), à détenir la majorité démographique. Les céréales tiennent en effet une place primordiale dans les habitudes alimentaires et culturales de ces groupes ethniques.
Le système de culture adopté (installation des vivriers sur défriche forestière où le cacaoyer ou le caféier seront ensuite plantés) conduit à une forte extension des surfaces vivrières, dont le maïs. Le rythme le plus rapide possible de défrichement et de plantation est en effet recherché pour s'assurer une quasi-propriété foncière. Il en résulte le dégagement d'importants surplus vivriers. Ces surplus structurels, qui peuvent être cédés par les producteurs à un bas prix correspondant au coût marginal, vont évidemment attirer les opérateurs du commerce. Un circuit commercial va s'amorcer, faisant évoluer ces productions vers une vocation plus affirmée de vente.
Au milieu des années 80, les réserves forestières se raréfient et la dynamique fondée sur l'extension des plantations s'épuise. Les disponibilités en terre restent en fait abondantes mais correspondent à des jachères et des bas-fonds, et sont appropriées par les autochtones et les premiers migrants installés. La dynamique maïsicole peut se poursuivre par un report sur des terres impropres aux plantations, ou par des cessions de terre à titre temporaire. De telles cessions ne sont en effet accordées que pour la réalisation de cultures annuelles comme le maïs, ces cultures ne constituant pas des «marqueurs» de droit foncier contrairement aux arbres. La main-d'uvre est encore suffisamment abondante, notamment dans les petites exploitations des derniers migrants installés, Pour soutenir une dynamique de production procédant d'une cession temporaire de terre.
Une complémentarité entre maïs et caféier
Le maïs est davantage diffusé dans les zones où les plantations caféières tiennent une plus grande importance (partie septentrionale du centre-ouest). Le calendrier cultural du maïs de premier cycle s'insère en effet facilement dans celui du caféier, comme le montre la figure 3.
Les activités sur maïs et cacaoyer peuvent également présenter une bonne complémentarité à condition de réaliser un maïs précoce semé en février-mars et récolté dès juin avant les premières récoltes substantielles de cabosses.
Un secteur de collecte privé entreprenant
Le centre-ouest est l'une des premières régions productrices de cacao, café, vivriers divers tels que l'igname et la banane plantain. L'importance des flux agricoles marchands a conforté le développement d'un important secteur de collecte privé. Ce dernier, traditionnellement contrôlé par des opérateurs originaires de la zone de savane (Ivoiriens dioulas du nord-ouest et Maliens) est, tout comme le secteur de la production, dynamisé par le courant d'immigration. L'immigration permet aux grossistes de s'attacher un grand nombre de «collecteurs» et de manoeuvres à bas coût. Les commerçants ont joué un rôle très important dans la stimulation de l'offre de maïs. Outre la conclusion de contrats informels avec les producteurs, ils ont aussi investi directement la production de maïs en recourant aux services d'une main-d'uvre rémunérée. L'enquête de Fusillier (1986-1987) montre que les plus gros producteurs de maïs de la zone de Daloa, cultivant souvent aussi en deuxième cycle, sont généralement des commerçants. On trouve ainsi, à l'époque, des commerçants mettant en culture plusieurs dizaines d'hectares avec des techniques exclusivement manuelles.
Une culture rémunératrice réduisant les contraintes de trésorerie
La concurrence semble assez vive entre les collecteurs, et les producteurs obtiennent des prix rémunérateurs. Le maïs fournit une rémunération du travail (premier critère intéressant les producteurs) beaucoup plus élevée que le riz pluvial, principale alternative. La commercialisation du maïs en août-septembre permet de lever la principale contrainte de trésorerie le financement de la rentrée scolaire des enfants.