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Liaisons entre la production et le post-récolte.
A partir des principaux critères inventoriés dans le tableau 3, la forte interdépendance entre les recherches agronomiques et les objectifs de production sont illustrés par quelques exemples.
obtenir des tubercules de taille désirée (point 1):
En vue de commercialiser du manioc frais sur le marché, il est préférable de disposer de gros tubercules. La densité de plantation constitue une technique simple pour que le producteur ajuste au mieux sa production à cette demande. Par ce moyen, la qualité obtenue sur un hectare peut être modifiée sans changer le rendement global (Raffaillac, 1997 a). Un fort écartement entre les plants permet par exemple de tripler la production des tubercules dont le poids est supérieur à 1 kilogramme à l'unité de surface (tableau 4). Il présente cependant l'inconvénient de favoriser l'enherbement de début de cycle et implique des opérations supplémentaires de sarclage.
Tableau 4 - Effets de l'écartement entre plants de manioc (pour un rendement moyen brut de 26 tonnes)
Ecartements (m): | 1,3 x 1,3 | 1,0 x 1,0 | 0,8 x 0,8 |
nombre total de tubercules par ha | 57395 | 62700 | 76563 |
nombre de tubercules > 1 Kg | 6313 | 3 150 | 2297 |
poids total des tubercules > 1 Kg | 8,0 tonnes/ha | 3,5 tonnes/ha | 2,4 tonnes/ha |
intervenir sur la morphologie des tubercules (point 2)
Au sud du Togo, la baisse de la fertilité des terres de barre réduit le rendement frais de l'ordre de 60 à 70% (Eglé, 1992). De plus, la qualité des tubercules est modifiée: la répartition de l'amidon emmagasiné sur un secteur de la racine se modifie (Raffaillac et Eglé, 1997 b). Sur un sol appauvri par des cultures continues sans fertilisation pendant 17 ans, le diamètre des racines tubérisées est diminué et la longueur du secteur tubérisé est augmentée pour chaque catégorie de poids, par rapport à un sol régulièrement fertilisé (tableau 5).
Tableau 5 - Modifications de la morphologie des tubercules de manioc liées au niveau de fertilité des terres de barre au sud du Togo.
Sol pauvre | sol fertilisé en NPK | |||
longueur | diamètre | longueur | diamètre | |
tubercules de 300 grammes | 33 cm | 3,6 cm | 29 cm | 4,1 cm |
tubercules de 500 grammes | 46 cm | 4,0 cm | 37 cm | 4,6 cm |
tubercules de 700 grammes | 62 cm | 4,1 cm | 45 cm | 5,1 cm |
Ces différences morphologiques se répercutent
sur les opérations de transformation (rendement à l'épluchage
manuel ou mécanique) ou sur la commercialisation de tubercules
frais
(aspect des tubercules). Mais d'un autre côté, la teneur en
matière sèche des tubercules sur le sol fertilisé baisse de 3
à 4 points.
modifier la teneur en eau des tubercules (point 5)
Le taux de matière sèche des tubercules de manioc est plus élevé sur un sol carencé en potassium (tableau 6).
Tableau 6 - Effet du niveau de potassium dans le soi sur la teneur en matière sèche des tubercules de manioc: cas des terres de barre au sud Togo.
Lieu | variété | durée de cycle | K (mEq/100g de sol) | % MS á 85°C |
Davié |
312-524 |
11 mois |
0,07 | 35,0 |
0,31 | 30,9 | |||
0,45 | 29,5 | |||
Agbomedji |
Lagos |
7 mois |
0,04 | 35,8 |
0,08 | 34,2 | |||
0,13 | 32,7 |
L'introduction de variétés plus productives en milieu traditionnel sans utilisation d'intrant risque d'accentuer la baisse de fertilité des sols; une correction par des apports d'engrais essentiellement potassiques devient alors indispensable. Mais cette innovation peut compromettre l'acceptabilité du manioc en réduisant le taux de matière sèche. En effet, une forte teneur en eau dans les tubercules gène des étapes de transformation; de plus elle diminue la valeur d'un produit fini tel que le foufou-pâte au sud-Togo (Raffaillac, 1996b). A travers les teneurs en argile de l'horizon supérieur, il est par ailleurs possible d'identifier des «crus» permettant une période de commercialisation plus longue des racines.
maintenir une faible teneur en eau (point 5)
L'échelonnement des dates de plantation est possible sur une grande partie de l'année en basse Côte d'Ivoire en raison d'une bonne répartition des pluies, permettant ainsi la régularisation des approvisionnements d'une usine ou d'un marché. Le calage différent de cycles culturaux de 12 mois sur le cycle climatique a cependant des effets sur la qualité des tubercules récoltés (Raffaillac, 1985): le cumul des pluies reçues au cours des deux mois qui précédent la récolte est corrélé négativement à la teneur en matière sèche du tubercule (figure 2). Il conviendrait donc de récolter en saison sèche, période pour laquelle toutefois la pénibilité du travail est la plus grande.
fournir un complément alimentaire riche en protéines (point 7)
Le tubercule de manioc est pauvre en protéines quelle que soit la variété et il semble illusoire en l'état actuel des connaissances de compter sur l'amélioration variétale pour augmenter rapidement et significativement les teneurs. A côté des recherches technologiques sur les fermentations à soutenir, un complément protéinique peut s'envisager à partir des jeunes feuilles. Mais des prélèvements répétés gênent la qualité des tubercules (faible taille des grains d'amidon, teneur élevée en eau) en raison de la forte compétition entre partie aérienne et racines; des recherches complémentaires sur le fonctionnement de la plante (comparaison variétale) sont nécessaires.
autres critères de qualité liés à la production (points 4, 6 et 8)
Déjà des travaux anciens comme à Madagascar (Cours, 1951, Dulong, 1971) ont raisonné l'amélioration de la production en intégrant une préoccupation forte sur la qualité. Les dates de récolte, la fertilisation et le calage du cycle cultural sur le cycle climatique sont fréquemment signalés comme des facteurs qui interviennent sur la grosseur du grain d'amidon, sur les teneurs en fibres et en acide cyanhydrique. Ces renseignements sont valables pour des situations écologiques précises et d'autres recherches sont indispensables pour une meilleure compréhension de l'interaction entre les variétés de manioc, les techniques et le milieu en liaison forte avec les organisations de transformation et de mise en marché des produits marchands.
Enoncer des priorités pour la recherche sur la production du manioc en rapport direct avec la transformation et la commercialisation reste difficile tant les objectifs de production peuvent varier selon les milieux écologiques et les populations concernées. Les domaines agronomiques à privilégier peuvent donc être tout à la fois:
CARTER S. E., FRESCO L. O., JONES P. G., 1992. An atlas of cassava in Africa. Historical, agroecological and demographic aspects of crop distibution. CIAT publication n°206, Cali, Colombia, 86 p.
COCK J. H., 1985. Cassava. New potential for a neglected crop. IADS series, Westview Press, 191 P.
COURS G., 1951. Le manioc à Madagascar. Mémoire de l'institut scientifique de Madagascar. Série B -Tome 111. Fascicule 2, 203-400.
DULONG R., 1971. Le manioc à Madagascar. L'Agronomie Tropicale, 26, 8, 791-828.
EGLE K., 1992. Etude de la variabilité des composantes du rendement du manioc (Manihot esculenta Crantz, var. 312-524) en fonction de la fertilité du sol. Mémoire 91-08 d'Ingénieur Agronome de l'Ecole Supérieure Agronomique de l'Université du Bénin, Lomé, Togo, 111 p.
FAO, 1996. Manioc. in Perspectives de l'alimentation, rapport nº 10, Système Mondial d'information et d'Alerte Rapide (SMIAR-FAO), http.//www.cirad.fr/giews/french/smiar.htm
NWEKE F. I., DIXON A. G. O., Asiedu R., Folayan S. A., 1994. Cassava varietal needs of farmers and the potential for production growth in Africa. COSCA working paper n° 10, IITA, Ibadan, Nigéria, 239 p.
RAFFAILLAC J. P., 1985. Pluviométrie et qualité de la production chez le manioc dans le sud de la Côte d'ivoire. In: «Eau et Développement Agricole», ORSTOM, Adiopodoumé, Côte d'ivoire, 78-81.
RAFFAILLAC J. P., 1996a. La fertilité en zone tropicale humide et le manioc. In actes du séminaire sur la fertilité du milieu et stratégies paysannes sous les tropiques humides, 13 au 17 nov. 1995, Montpellier, France. J. Pichot, N. Sibelet et J.J. Lacoeuilhe (éd. scientif.), CIRAD éd., 286-298.
RAFFAILLAC J.-P., AKAKPO K. E., 1996b. Matière sèche des racines de manioc et aptitude à la transformation en foufou au Togo. Cahiers Agricultures, 5: 185-188.
RAFFAILLAC J.-P 1997a. Le rôle de la densité de plantation dans l'élaboration du rendement du manioc. in actes du séminaire de la sous-commission agronomie de l'ORSTOM, Montpellier, sept. 1994, ORSTOM éd., collection «colloques & séminaires», (sous presse)
RAFFAILLAC J. P., Egle K., 1997b. Growth, development and yield components of cassava under different soil fertility levels in south-Togo. En préparation pour soumission à Field Crops Research
Les productions nationales de manioc rapportées au nombre d'habitants soulignent l'importance particulière de cette plante vivrière dans les pays africains qui assurent 50% de la production mondiale. Les recherches sur la production du manioc doivent prendre en compte l'ensemble de la filière pour intégrer certaines particularités des objectifs de production qui varient selon que le manioc est culture vivrière (cas le plus fréquent) ou culture de rente pour l'alimentation animale ou l'industrie. Devant le double enjeu des années à venir: «produire plus» et «disposer d'un aliment de qualité compétitif», la recherche agronomique devra s'intéresser en priorité à l'augmentation des productions face à la baisse de fertilité des sols, alors que la fertilisation (essentiellement potassique) est souvent peu compatible avec des processus de transformation et la qualité finale. Quelques exemples pris dans des résultats de recherche agronomique illustrent cette interdépendance entre des facteurs de la production et la transformation ou la commercialisation du manioc.